La position de Sosf sur la votation du 15 mai 2022
Il n’est pas nouveau, dans la politique migratoire suisse et européenne, que les angoisses de sécurisation prennent le pas sur la sauvegarde des droits fondamentaux. L’agence européenne de garde-frontières Frontex en est l’incorporation. Depuis des années, elle grandit, en budget, personnel et armement. Le discours raciste qu’elle contribue à développer permet de considérer les personnes en exil comme une menace et de justifier les traitements indignes qui leur sont réservés.
Une attention médiatique sur les actes de violence envers les personnes en Suisse tolérées ou perpétrées par Frontex commençait à surgir. Le lancement du referendum contre son financement par la Suisse, réalisé par le collectif Migrant Solidarity Network a permis une plus grande attention sur le sujet. Ce référendum est une chance. Il est très important de saisir les occasions de dire stop, et d’utiliser les moyens démocratiques à notre disposition pour résister au piétinement du droit d’asile et des libertés individuelles.
Le chantage de la peur
Comme trop souvent dans les débats autour des droits des personnes migrantes, les arguments du camp adverse puisent dans le très efficace réservoir politique de la peur. Si vous remettez Frontex en question, on va vous brandir l’argument de la sécurité aux frontières. C’est négliger la majeure partie de ce qui ce qui s’y joue véritablement. Actuellement, les personnes véritablement en danger, et ce en partie directement via les activités de Frontex, sont celles qui veulent entrer dans l’Union Européenne pour obtenir protection.
Ce discours sécuritaire a en outre l’effet de représenter les personnes en fuite comme une menace, qui justifierait les mauvais traitements qu’on leur fait subir aux frontières. Ce renversement de la violence n’est pas nouveau, c’est la rhétorique que nourrissent soigneusement les extrêmes droites occidentales, permettant à une attitude fondamentalement méfiante envers les réfugié-es d’infecter même les discours de gauche.
Un référendum pour une Europe plus solidaire
Le referendum contre le financement de Frontex est présenté comme anti-européen. Or, ce sur quoi la population votante va devoir trancher en mai n’est pas la sortie de Frontex, ou même de l’acquis de Schengen, mais bien une augmentation du budget, déjà massif, de l’agence européenne. Le Parlement européen a d’ailleurs lui-même décidé en octobre 2021 de geler une partie du budget de l’agence suite à une enquête sur les accusations de non-respect des droits humains.
Faire partie de l’espace Schengen ne devrait d’ailleurs pas signifier accepter sans mot dire tout ce qui en découle. Solidarité sans frontières s’est toujours montrée extrêmement critique face aux règlements de Schengen et Dublin. La crainte était surtout que les politiques sécuritaires empiètent gravement sur le droit d’asile. En 2007 déjà, un article du bulletin signé Heiner Busch appelait le Parlement suisse à la vigilance au sujet des ordonnances qu’il acceptait.
Plus de 15 ans après l’entrée de la Suisse dans les accords Schengen-Dublin et donc le soutien à Frontex, force est de constater que nos craintes se sont avérées. Augmentation des mesures sécuritaires, diminution du droit d’asile, développement exponentiel des moyens mis à disposition de la surveillance et de la criminalisation des personnes en fuite sont légion.
La victoire du référendum permettrait surtout une plus grande marge de manœuvre pour une nouvelle décision de la Suisse sur Frontex. Il s’agit surtout de dire au Parlement, qui a d’ailleurs refusé tout compromis humanitaire sur ce projet : « retour à l’envoyeur, revenez avec un projet plus respectueux des droits humains ». La volonté de financer coûte que coûte une agence européenne qui menace les droits humains plutôt que de chercher des solutions qui préservent les droits humains, relève au mieux d’une paresse politique, mais semble surtout témoigner d’un mépris face aux droits fondamentaux des personnes qui demandent l’asile.
Une occasion pour la gauche de se montrer unie autour de la défense des droits fondamentaux
Lancé par un groupe de base du droit d’asile, le référendum semblait promis à l’échec. C’est d’ailleurs l’angle principal sous lequel les médias l’ont traité. Or, la mobilisation a été très forte, et ce ne sont pas moins de 62'000 signatures qui ont été déposées à la Chancellerie fédérale.
Les partis politiques gouvernementaux, les syndicats et les grandes ONG se sont montrées pour le moins discrets pendant la récolte de signatures. Importance des autres thèmes dans leur agenda, sensibilité à la menace fantôme d’une exclusion des accords Schengen/Dublin, ce n’est pas clair. Ce que cela a révélé, c’est qu’une autre mobilisation, plus large, est possible, du côté des militant·es de la société civile et des groupes de base. Les réseaux sociaux, des équipes de récolteur·ses de signatures bénévoles (avec notamment beaucoup de sections jeunes des partis écologistes et socialistes) ainsi qu’un travail médiatique de grande ampleur ont permis une victoire à laquelle personne ne s’attendait.
Cela donne une nouvelle image du mouvement d’asile. Et reflète d’ailleurs assez bien les tendances qui motivent un NON au financement de Frontex : des groupes qui veulent vivre pour voir l’abolition de l’agence, à ceux qui en souhaitent une réforme, et aussi celles et ceux qui réclament tout simplement qu’une importance plus grande soit donnée aux respect des droits humains. Ces tendances ne sont pas nouvelles, le mouvement d’asile en Suisse, et partout ailleurs en Europe, a toujours rassemblé différentes tendances, des plus ambitieuses aux plus modérées.
Solidarité sans frontières s’y est toujours sentie à l’aise. Notre base est large, et nos valeurs sont la défense des droits humains, le vivre ensemble et l’antiracisme ; mais aussi et surtout la nécessité de développement d’un discours critique sur les politiques migratoires et sécuritaires. Nous nous réjouissons de vivre une campagne de votations qui réunit en son sein ces différentes tendances. La critique radicale de Frontex et du système qu’elle rend possible et qu’elle nourrit également, tout comme les volontés de discussion au niveau institutionnel, ainsi que les réflexions sur les droits humains, ont toujours fait partie des stratégies de Sosf.
C’est pour cette raison que nous voyons les prochains mois comme une opportunité. Grâce à l’initiative et au travail acharné d’une partie du mouvement d’asile, nous avons la possibilité de créer un espace de réflexion démocratique, où les différentes approches à l’opposition aux crimes de Frontex, qu’il s’agisse de son abolition, de sa réforme ou de sa critique institutionnelle, auront leur place.
Edition spéciale du bulletin et Infotour
Dans cette optique, nous avons monté le projet de l’Infotour et de l’édition spéciale du bulletin, qui paraitra en mars. Nous voulons créer débats et discussions, autour de ce que Frontex veut dire, et de comment nous pouvons y résister, en y invitant expert·es et personnalités qui se mobilisent en faveur du « NON » pour la votation du 15 mai prochain. Ces événements serviront à illustrer et à mobiliser le mouvement d’asile, uni dans ses différences.
Photo: Eric Roset