En demandant que l’on n’entre pas en matière sur des demandes d’asile présentées par des personnes arrivées chez nous en traversant des pays tiers " sûrs ", l’initiative de l’UDC ne vise pas seulement les abus : elle vide de sa substance le droit d’asile lui-même. Comment, en effet, pénétrer en Suisse sans passer par un Etat tiers ? Le seul moyen est un vol direct, mais pas plus de 5% des requérants utilisent ce moyen de transport. De plus, s’ils le font sans disposer des papiers nécessaires (passeport, visa), l’initiative propose d’infliger des sanctions à la compagnie d’aviation qui les a transportés, l’obligeant de ce fait à se montrer intraitable vis à vis de ceux qui cherchent à fuir sans avoir pris le temps d’accomplir toutes les formalités nécessaires. La question des " Etats tiers réputés sûrs " est déjà à l’ordre du jour depuis un certain temps. Elle fait partie des négociations que la Suisse poursuit avec l’Union Européenne pour son intégration dans l’espace Schengen. Bien que le principe de la réadmission dans un Etat de transit restreigne déjà drastiquement les possibilités d’accueil, l’initiative de l’UDC lui confère un caractère encore plus absolu, qui porte un coup fatal à un droit d’asile déjà bien affaibli. En pratique, plus aucune demande ne pourrait être examinée ! De plus, cette initiative postule que les " Etats tiers réputés sûrs " seront d’accord de reprendre sur leur territoire ceux que la Suisse refoule. Or rien n’est moins sûr. Déjà aujourd’hui, des demandeurs d’asile refoulés pour attendre à l’étranger la réponse à leur requête, ont été soumis à des transferts inimaginables, d’un coin à l’autre du monde, de Madrid à Cuba, dans un cas particulier, puis de Managua au Caire en repassant par Madrid. Cette errance désespérée est le sort qui les attend si par malheur l’initiative est acceptée. Mais il est aussi probable, s’il n’y a pas de réadmission possible dans un pays de transit où le requérant aurait pu présenter sa demande, que beaucoup seront condamnés à rester en Suisse sans obtenir le moindre statut puisque, selon l’initiative, les autorités ne pourront même pas entrer en matière sur leur cas. Ils viendront donc grossir le nombre des Sans papiers.
En la matière, les autorités fédérales ne font pas beaucoup mieux. Reconnaissant que 95% des demandeurs entrent illégalement en Suisse (selon le Message du Conseil fédéral sur l’initiative) elles accordent tout de même l’asile, bon an mal an, à environ 10% des requérants, et elles entendent maintenir cette proportion. C’est donc pour ce maigre contingent de réfugiés statutaires que la Confédération s’engage à combattre l’initiative. Parallèlement, Berne rassure les milieux xénophobes en engageant de grandes manœuvres sur nos frontières, par exemple avec la France pour faire la chasse à quelques centaines de Roms, en faisant semblant d’examiner leur cas en accéléré, selon ce qu’on n’ose à peine nommer une procédure, puis en affrétant des charters en toute hâte pour les renvoyer dans leur pays d’origine. Pour quel destin ?… Les médias rendent compte de cette opération en termes militaires, comme s’il s’agissait de défendre notre pays contre une attaque ennemie…
Même s’ils ne correspondent pas toujours aux critères très restrictifs de notre loi sur l’asile, et même s’ils ont recours à des passeurs appartenant à des réseaux maffieux, les requérants ne viennent pas en Suisse par caprice ou par recherche du confort, ni pour abuser de notre générosité. Leurs motifs d’exil sont multiples, leurs parcours souvent chaotiques, mais c’est toujours la détresse qui les pousse. Et si parfois il leur manque quelques papiers, ce n’est ni par méchanceté, ni par malhonnêteté, ni même par calcul qu’ils les ont " perdus ", mais parce qu’ils font ce qu’ils croient utile pour avoir une chance de s’en sortir. L’initiative de l’UDC n’entre pas dans cette logique : pour elle, les requérants sont tous des profiteurs qu’il faut décourager par tous les moyens. D’une certaine manière, on pourrait dire que pour l’UDC les " bons réfugiés " sont ceux qui ont pris soin de préparer leur voyage, de commander leur billet d’avion, de préparer leur dossier avec les preuves des persécutions subies, de se munir d’un visa. Ce sont ceux qui collaborent avec les autorités, qui se montrent courtois et reconnaissants ; bref ! ce sont ceux qui nous ressemblent ! Tous les autres seront traités avec un mépris mesquin et ne recevront qu’une assistance réduite, maintenue au-dessous du minimum vital défini par les critères de l’aide sociale.
Déjà dans les conditions actuelles, davantage désormais avec la révision en cours de la loi sur l’asile, mais de manière encore bien plus dramatique si l’initiative passe, l’illégalité n’est pas un choix mais une contrainte. Contrairement à ce qui paraît être le vœu le plus cher de l’UDC, avec cette initiative, il n’y aura pas moins d’étrangers en Suisse, mais plus de clandestins. L’illégalité du séjour de beaucoup d’étrangers qui se trouvent dans notre pays est intolérable aux yeux de certains, car ils y voient un signe de mépris pour nos lois, d’ingratitude pour notre générosité, voire d’impolitesse face à notre hospitalité. " Quand on est accueilli chez des gens qu’on ne connaît pas, on dit bonjour et on se présente ", faisait remarquer un collègue conseiller national. C’est une vision qui ne tient pas compte des réalités de l’exil dans un monde qui a tendance à se barricader et à considérer la migration comme une menace d’envahissement. Mais surtout, dénoncer la clandestinité tout en proposant en même temps des mesures qui restreignent les possibilités d’accueil de manière que plus rien d’autre que la clandestinité ne soit possible, c’est du pur cynisme !
Dans ces conditions, y a-t-il encore quelque chose à sauver ? Bien sûr ! Un NON déterminé à l’initiative de l’UDC est la seule manière de marquer la volonté de la majorité de la population suisse de rester ouverte à l’accueil de ceux qui fuient la misère, les catastrophes, les persécutions et les guerres. Ce NON permettra également de faire comprendre à nos autorités qu’elles font fausse route en adoptant une politique qui anticipe les désirs de l’UDC. Notre campagne doit faire échec non seulement à l’initiative de l’UDC, mais aussi aux lois discriminatoires, tracassières et exagérément restrictives que sont la loi sur l’asile et la loi sur les étrangers actuellement en révision.
Berne, le 11.10.02
Anne-Catherine Menétrey-Savary
Une punition particulière pour les réfugiés
Des milliers de requérants d’asile vivent aujourd’hui en Suisse avec une interdiction de travailler de duré illimitée. Les Roms du Kosovo, par exemple, dont la demande d’asile avait été rejetée mais qui ne pouvaient être expulsés (car les bombardements de l’OTAN pour des raisons "étiques" les menaçaient physiquement et dans leur liberté) ont été, durant deux ans, soumis à cette interdiction de travailler. Cela signifiait que les Roms kosovars se trouvant en Suisse étaient obligés de rester inactifs durant des mois, voir des années, et de vivre de l’aide sociale bien en dessous du niveau de vie moyen suisse.
Complètement ringard?
Ce que l’UDC demande dans son initiative lancée en 1999 sous chiffre f), à savoir d’interdire aux requérants d’asile toute activité salariée autonome après une décision négative de dernière instance, a déjà été intégré en 1998 dans la révision totale de la loi sur l’asile (art. 43, al, 2, loi sur l’asile). Les conséquences concrètes pour les personnes touchées sont catastrophiques : ils vivent totalement en marge et souffrent du manque écrasant de perspectives. Les restrictions en matière de prestations médicales ou d’assistance, bien en deçà du minimum vital suisse, proposées sous lettres d) et e) sont déjà une réalité aujourd’hui ou seront adaptées aux exigences de l’UDC dans la révision partielle en cours de la loi sur l’asile. Aujourd’hui déjà, les prestations d’assistance sont fournies en nature ; aujourd’hui déjà, les autorités cantonales et communales déterminent quel médecin un requérant d’asile peut consulter et à quel moment il peut le faire. Dans les milieux bourgeois, on entend souvent que ces revendications sont aujourd’hui dépassées et ringardes. En réalité, la pratique, les ordonnances et la législation ont été constamment adaptées aux exigences de l’UDC. L’initiative a déployé ses effets bien avant la votation. Si l’UDC mène sa campagne avec pour slogan "fini les promesses en l’air", c’est pour mieux cacher que les autorités ont déjà mis en pratique la plupart des exigences de l’UDC. Seule la réduction des prestations médicales au service des urgences n’a pas encore été concrétisée!
Du provisoire à long terme pour les réfugiés
La réglementation de l’Etat tiers précarise de manière supplémentaire la vie des personnes persécutées et menacées. Par la réglementation de l’Etat tiers, l’initiative de l’UDC veut enlever à ceux qui n’ont pas pu être expulsés toute possibilité de voir leurs conditions de vie précaires s’améliorer. Comme l’asile ne sera plus accordé, les requérants, dont le renvoi n’est pas autorisé, devront se contenter du statut plus que pénible de réfugiés provisoires et ce pour une durée indéterminée. L’octroi de l’asile permet tout de même une vie digne de ce nom, par ex : la possibilité d’accéder à la formation continue, l’accès illimité au marché du travail, la possibilité de voyager dans les pays voisins, de rejoindre des parents et, après 5 ans, d’obtenir une autorisation d’établissement. Mais l’octroi de l’asile n’est plus possible si on tient compte de l’initiative de l’UDC. Si les requérants d’asile tombent dans le deuxième cycle de la procédure, après que le renvoi dans un pays tiers n’ait pu être effectué, ils se retrouvent prisonniers du provisoire. Presque la moitié des réfugiés reconnus aujourd’hui sont universitaires ou hautement qualifiés. L’initiative de l’UDC ne leur permettra plus de s’épanouir professionnellement et de faire profiter notre société de leur précieuses ressources.
Anni Lanz, Solidarité sans frontières
Berne, 11 octobre 2002