On pourra s'étonner qu'une association d'auteurs comme le Groupe d'Olten dont la vocation est d'abord littéraire s'engage aux côtés des sans-papiers. On s'en étonnera d'autant plus qu,e sur d'autres questions politiques, le GO ne s'est pas manifesté. Chaque auteur a parlé de sa voix, mais pas de voix collective. A propos des frappes aériennes contre Belgrade, puis à propos des bombardements américains contre l'Afghanistan, les auteurs, nos membres, ont pris des positions divergentes.
Mais sur la question des droits fondamentaux, les auteurs savent se montrer intransigeants. La cause des sans-papiers est la leur. Je ne crois pas qu'on puisse faire profession d'écrire sans mettre en cause l'injustice sociale. Tant du point de vue moral que littéraire il est inadmissible qu'une communauté sociale construise sa richesse sur l'exploitation clandestine de ses membres les plus pauvres en les privant de leurs droits élémentaires.
La plupart des grandes entreprises suisses emploient directement ou indirectement des sans-papiers. Je donnerai quelques exemples.
Cela se passe dans une grande ville suisse, à la chaîne d'emballage des journaux qui sont à distribuer dans les kiosques. Un processus de travail hautement automatisé dont la partie la plus pénible doit encore être faite à la main. Tasser les paquets, nouer les ficelles, étiqueter. Cela se passe de nuit, c'est un travail nécessaire, peu gratifiant et très mal payé surtout pour un sans-papiers. Un journaliste me dit : je ferais volontiers un reportage sur la question, mais je ne vois pas mon patron l'accepter...
Cela se passe dans une grande chaîne de magasin. Pour préparer la viande, les sans-papiers travaillent dans des chambres froides en plein été. La température y est glaciale, les conditions de travail difficiles, la paie misérable. C'est une maison honorablement connue qui prétend ne trouver que des sans-papiers pour peiner dans ses frigos. Un journaliste me dit : j'en parlerais volontiers, mais on ne peut pas accabler une entreprise qui justement s'occupe de notre cantine...
Cela se passe dans un grand entrepôt, un chauffeur sans-papiers décharge un camion de meubles. Par inadvertance un manutentionnaire endommage avec un engin de levage le camion du clandestin qui pleure devant sa portière défoncée. Le chef de l'entrepôt sort avec une batte de baseball et dit au sans-papiers de repartir tout de suite, sans faire d'histoires. Et plus vite que ça ! Le témoin qui me rapporte cette scène dit : on aurait dû le défendre mais on risquait notre emploi...
Cela se passe à l'étranger dans des bureaux de verres qui emploient des milliers de personnes sur deux fois cent dix étages. Les tours s'effondrent, les grandes entreprises, fleurons de l'Amérique, avouent honteuses qu'elles employaient là plusieurs centaines de sans-papiers dont elles n'ont même pas les adresses...
Notre pays entre Alpes Jura pense souvent que la meilleure façon de résoudre les problèmes est le consensus. Nous sommes devenus des intégristes du consensus. Mais dans le cas des sans-papiers nous avons à faire à des femmes, à des hommes qui n'ont pas les moyens de s'intégrer à notre consensus qui se révèle alors machine à fabriquer des hors-la-loi. Les sans-papiers qui ont eu le courage de s'exposer collectivement ont droit à notre respect. Ils luttent pour une démocratie qui a oublié de les compter à son actif. Ils ont droit à une solution collective. Sans exception ni policière ni administrative.
Daniel de Roulet
Président des Ecrivaines et Ecrivains du Groupe d'Olten
Le Forum Civique Européen est un mouvement de citoyens issu de l'ouverture aux pays de l'Est suite à la chute du mur. Il a élargi son action et regroupe actuellement des centaines de personnes à travers le continent qui oeuvrent à un exercice de la citoyenneté vigilante et efficace.
Dans l'espoir et l'attente de vous rencontrer, recevez nos meilleures salutations.
Caroline Meijers, pour le Forum civique Européen
Sandra Modica, pour le Mouvement suisse des sans-papiers