Demandes de régularisations
La Loi sur l’Asile (LAsi) adoptée en 2006 a durci une nouvelle fois les conditions d'octroi de l'asile et encore dégradé la vie des requérant-e-s en Suisse. Depuis son entrée en vigueur en janvier 2008, les requérant-e-s d’asile débouté-e-s sont soumis-e-s au régime de l’aide d’urgence qui fait actuellement l’objet d’une campagne de dénonciation menée par Amnesty International. Ce système contraint les débouté-e-s à vivre bien en deçà du seuil de pauvreté, sans droit au travail, ni au respect de leur sphère privée, et cela pour les forcer à quitter le pays. Cette politique est clairement un échec : de nombreuses personnes restent en Suisse, soit en survivant à l’aide d’urgence, soit en entrant dans la clandestinité, parce que leur retour est tout simplement inenvisageable.
Alors que le régime spécial de l’aide d’urgence était pensé comme provisoire, force est de constater qu’il peut s’étendre sur de très longues périodes (parfois plusieurs années !). Maintenir aussi longtemps ces personnes dans la misère et la précarité est inacceptable et heurte notre sens élémentaire de l’humanité!
L'Article 14 Lasi, une solution illusoire ?
La loi n’offre pas beaucoup de possibilités de régularisation pour les personnes déboutées de l’asile qui vivent ici depuis de nombreuses années. D’une part, l’Office des Migrations à Berne (ODM) peut décider une admission provisoire à titre humanitaire (permis F), par exemple pour des raisons de santé. D’autre part, sur la base de l’article 14 al 2 de la LAsi, les cantons peuvent adresser des « cas de rigueur grave » à l’ODM, qui tranche en dernier ressort.
L'article 14 LAsi prévoit certes d'attribuer un permis de séjour à une personne présente en Suisse depuis plus de cinq ans ; cependant, il fixe deux autres conditions très souvent impossibles à remplir : un domicile toujours connu des autorités et l’intégration poussée de la personne. Dans les faits, les cantons entrent rarement en matière. L’ODM quant à lui a tendance à exiger de plus en plus d’éléments pour entrer en matière.
En avril 2010, la Coordination Asile Migration Vaud avait déjà déposé une demande de régularisation sur la base de l’art.14 LAsi pour une quarantaine de personnes. Un seul dossier avait alors été accepté par le Département de l'intérieur (DINT).
Nous demandons aujourd'hui au canton de Vaud de faire un acte de souveraineté cantonale comme le lui reconnaît la loi, en revoyant son interprétation des critères d'application de l’article 14 Lasi. A cette fin, nous demandons que les autorités cantonales tiennent compte des constatations suivantes :
- Le domicile connu des autorités durant tout le séjour.
Pour refuser une demande de régularisation, on évoque la « disparition » des personnes, c'est à dire qu'elles ont cessé de se présenter au Service de la population (Spop) pendant quelque temps. Soumises quotidiennement à un régime de pressions et d’intimidations, ces personnes vivent, la peur au ventre, le risque constant d'être expulsées par la force. Lassées de subir ces brimades ou se sentant particulièrement en danger d’arrestation, il arrive qu’elles décident de se mettre à l’abri durant une période. Remarquons que la plupart des 523 personnes régularisées par le canton de Vaud entre 2006 et 2009 avaient dû se cacher pour éviter la détention et les plans de vol ; ce qui leur a justement permis de pouvoir un jour être régularisées ! - L’ intégration « poussée » : un critère inadapté et impossible à réaliser !
Le terme même d’intégration pose problème. En effet, ce que le DINT exige comme intégration est incompatible avec les conditions que le système de l'asile a imposées pendant des années. Les personnes sont confinées dans des centres qui se trouvent souvent isolés, voire sous terre dans des abris PC. Elles sont socialement mises à l'écart, car pour leur rendre visite il faut présenter un document d'identité à un agent de sécurité. La misère financière renforce encore cet éloignement social : il est difficile de tisser des liens dans une ville en Suisse sans aucun argent en poche ou au mieux 9.50 par jour pour se nourrir et satisfaire ses besoins primaires. Enfin, l'isolement et la précarité (incertitude sur l'avenir, peur de l'expulsion, dégradation psychique) sont des conditions difficiles pour l'apprentissage de notre langue. Cette exclusion planifiée n’est pas un choix des individus mais leur est imposée par l'Etat. - L’intégration jugée selon la capacité à s’intégrer au marché du travail.
Les autorités évaluent l’intégration d’une personne sur sa capacité à trouver et à réaliser un travail salarié suffisamment payé. Or, toutes les personnes frappées de non-entrée en matière (depuis 2004) ou déboutées de l’asile (depuis 2008) ont l'interdiction de travailler. Les autorités reprochent souvent aux personnes qui demandent l’art. 14 de « ne pas être intégrées sur le marché du travail », alors que tout dans le parcours d’un-e requérant-e d’asile est fait pour l’écarter du marché du travail !
Par ailleurs, si elles ne veulent pas tomber sous le coup de la loi sur le travail au noir, elles peuvent s'inscrire, si l'occasion se présente, à un programme d’occupation ou de formation proposé par l’EVAM. Ces « emplois » sont payés au tarif de Fr 300.- par mois pour 20h par semaine (3.75/h). Or, lors de l’examen des demandes de permis selon l’article 14, ces programmes d’occupation ou de formation ne sont pas pris en compte par les autorités !
Double discrimination pour les femmes
Pour les femmes et les mères cette situation est doublement discriminatoire. L’accès même aux programmes d’occupation leur est fermé lorsqu'elles sont responsables d'enfants. Sans aucune possibilité de garde dans les centres, comment pourraient-elles s’investir dans des activités (occupationnelles ou salariées)? De même, alors qu’elles ont droit à des cours, de français par exemple, elles essuient souvent un refus parce qu’elles ne peuvent se présenter avec l’enfant au cours. Enfin, il va sans dire que le travail éducatif et domestique effectué par les femmes déboutées n’est pas compris dans les critères de « l’intégration poussée ».
Criminalisation et application de la double peine
Dans leur condition de misère sociale, les débouté-e-s ont recours à des expédients. Prendre le bus ou le métro sans argent les expose à une amende qui deviendra un motif d’exclusion à la régularisation. En effet, étant donné l’extrême précarité à laquelle ils/elles sont astreint-e-s, ils ne peuvent s'acquitter d'un tel montant, et l'amende se transforme en peine de prison (jours-amende). Un ou une débouté-e peut aussi subir une peine de prison pour « séjour illégal » car il/elle s'est soustrait-e à un renvoi forcé.
Comme les autorités ne leur fournissent pas de papier d’identité valable, les personnes déboutées ne peuvent vivre « en règle » : acheter un abonnement de bus ou de train, obtenir une attestation de l'office des poursuites (pourtant demandée par le Spop lors de la demande de permis selon l'article 14 LAsi), même se faire remettre une lettre recommandée par la poste : toutes ces démarches deviennent aléatoires.
Enfin, certaines personnes ont connu une condamnation pénale pour un délit. Elles ont purgé leur peine, et souhaitent réintégrer la société et leur famille, comme toute personne qui a connu un jour un problème pénal et qui a payé sa dette par la prison. Nous déplorons que les dossiers qui comportent une condamnation – sans distinction du type d’infraction - soient systématiquement écartés.
L’article 14 est arbitraire et viole la constitution !
Sans voie de recours possible, la demande d’article 14 apparaît souvent sanctionnée de manière très aléatoire par le SPOP. Les motifs de refus sont absents ou très peu explicites, simplement formulés selon des lettres standard. L’absence de transparence quant aux critères de sélection amène à se demander parfois si les dossiers sont réellement lus. Par ailleurs, des dossiers acceptés une première fois et rejetés au niveau fédéral ont ensuite été rejetés au niveau cantonal, ce qui démontre à quel point les critères sont flous et arbitraires. En outre, le Tribunal Fédéral a estimé que cet article violait la constitution puisque la décision du canton concernant la recommandation du dossier aux autorités fédérales ne pouvait pas faire l’objet d’un recours (Arrêt du 15 décembre 2010).
Sur la base de ce qui précède, nous dénonçons l’application restrictive de l’article 14 Lasi par les autorités cantonales vaudoises. Nous défendons le principe que l’installation durable (cinq ans) sur le sol vaudois constitue en soi un cas de rigueur justifiant l’octroi d’une autorisation de séjour. Nous estimons qu’une telle durée implique une intégration de fait qui est attestée par les travaux, liens, réseaux, famille, services, échanges et autres apports que les personnes déboutées de l’asile créent dans notre canton. A partir du moment où ces personnes séjournent depuis si longtemps dans le canton, un renvoi forcé constitue une atteinte à leur intégrité. Il faut dès lors mettre en place les conditions favorables à leur intégration complète en leur délivrant un permis de séjour.
Il est plus que jamais nécessaire de repenser l’évaluation des demandes de régularisation dans une perspective constructive. Un grand nombre de personnes débouté-e-s de l’asile restent dans le canton car elles n’ont pas la possibilité de repartir dignement et en toute sécurité. Leur vie est désormais ici et il est nécessaire de prendre acte de cette réalité en reconsidérant leur demande de régularisation sur la base de l’art. 14 LAsi.
Pour toutes ces raisons, la Coordination Asile Migration Vaud et les signataires ci-dessous demandent:
- l’ouverture d’un débat général sur l’aide d’urgence
- que le Conseil d’Etat réévalue l’application de la LAsi, particulièrement l’interprétation des critères de l’art. 14 dans le sens de ce qui précède et en particulier les dossiers des personnes suivantes installées dans le Canton depuis de nombreuses années