"Je suis une journaliste kurde de Turquie"

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Portrait de Durket

Durket a fui la Turquie. Elle est venue en Suisse chercher protection. À l’issue d’un parcours émaillé de violences, on lui répond qu’elle doit repartir. En Croatie. C’est-à-dire dans le pays où la police l’a battue, insultée et privée de ses droits. Le témoignage de Durket, qui est journaliste est linéaire, critique, factuel. Il montre qu’à chaque étape de la fuite, les droits des personnes exilées sont violés.

 

Je suis une journaliste kurde de Turquie. En raison de la criminalisation de mon travail journalistique en Turquie, le 2 juillet 2023, accompagné·es de mon neveu et de mon cousin, nous sommes parti·es en Bosnie-Herzégovine dans l'espoir de demander l'asile en Suisse. Le 10 juillet, vers 4h30 du matin, nous avons été violemment interpellé·es par la police à une gare ferroviaire en Croatie (coups de matraque, coups de pied, coups de poing, insultes). Tous nos biens nous ont été confisqués. Le soir même, nos empreintes digitales ont été prises de force, et on nous a rapidement fait signer des documents dans une langue que nous ne comprenions pas, sans traduction. On nous a menacés de prison si nous refusions. On nous a dit en anglais que nous avions jusqu'au lendemain, le 11 juillet à midi, pour quitter la Croatie sous peine d'arrestation, puis on nous a laissés à une gare. En attendant là, la police est revenue nous chercher et nous a ensuite abandonnés, après nous avoir de nouveau agressés, à un endroit que nous avons appris plus tard être en Bosnie-Herzégovine. De plus, ils ne nous ont pas rendu notre argent ni nos effets personnels. À Sarajevo, nous avons découvert que les documents signés en Croatie constituaient en fait une demande d'asile. En raison de la violence psychologique et physique subie, j'ai eu une paralysie faciale et une paralysie du côté gauche. En Bosnie-Herzégovine, par l'intermédiaire d'un avocat que nous avions mandaté, nous avons porté plainte contre la Croatie.

 

Nous sommes restés environ quatre mois (113 jours) en Bosnie-Herzégovine, en nous appuyant sur la règle des trois mois du Règlement Dublin, et avons déposé une demande d'asile au camp d'Altstätten en Suisse le 1er novembre 2023, avec tous nos documents (procuration à l'avocat, plainte, contrat de location, relevés de carte de crédit, factures des charges du logement, factures de supermarché, factures de restaurant, journaux, etc.). Le 9 novembre, nous avons été entendus pour la procédure Dublin. Après avoir été transférés au camp souterrain de Steckborn dans le canton de Thurgovie le 10 novembre, j'ai pu commencer mon traitement. Le médecin auquel j'ai été envoyée a informé le camp que mon traitement devait se poursuivre en neurologie et en orthopédie, mais il a été interrompu peu après en raison des règles de Dublin. Le 6 mars 2024, nous avons eu une réunion juridique avec les avocat·es de HEKS, et malgré les preuves et mes rapports médicaux en notre possession, il nous a été communiqué que la décision du SEM était négative. Une décision a été prise de nous renvoyer en Croatie, mais nos avocats de HEKS ont fait appel au Tribunal administratif fédéral. Le 22 mars, nous avons appris que le Tribunal administratif fédéral avait pris une décision finale le 18 mars, confirmant la décision du SEM. Lors de la soumission de nos preuves, on ne nous avait pas demandé de photos ou de vidéos, mais on nous a ensuite informés que le tribunal aurait accepté des photos et vidéos détaillant notre présence en Bosnie-Herzégovine chaque jour, ce qui était impossible pour nous. Nous n'avons donc pas pu fournir de telles preuves. Le risque que la Croatie nous renvoie en Turquie, où nous subirions de la violence, est très élevé.

 

Mon neveu et mon cousin, incapables de supporter l'idée d'être renvoyés en Croatie, ont fui la Suisse de manière irrégulière le 26 mars. En tant que femme ayant subi de la violence en Croatie, l'idée de traverser de nouveau les frontières de manière irrégulière me fait revivre ces événements, c'est pourquoi je suis restée. Le 27 mars, j'ai été transférée dans un foyer à Arbon, dans le canton de Thurgovie. Malgré l'application de Dublin, certains droits m'ont été accordés, comme à tout autre demandeur·se d'asile hébergé·e dans un foyer. Cependant, après que le journal local Thurgauer Zeitung ait couvert mon histoire le 6 avril, j'ai été privée de nombreux droits et on m'a informée que je serais bientôt transférée à un centre de retour et renvoyée en Croatie.

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