Il n'est pas rare que les aspirations et les revendications légitimes et progressistes des femmes soient instrumentalisées pour occulter des intentions réactionnaires, racistes et/ou impérialistes. Ce phénomène a malheureusement accompagné l'histoire du mouvement féministe et a été plus ou moins présent tout au long du 20e siècle. Depuis le 11 septembre 2001, il revient en force, comme en témoigne l'usage par George W. Bush de la question de la «libération des femmes» pour légitimer l'invasion états-unienne de l’Afghanistan et de l'Irak. A travers l'analyse de trois éléments de leur discours, je vais tenter de montrer que les défenseurs d'Ecopop, à travers le volet «coopération au développement» de l'initiative, s'inscrive dans la même logique.
La femme du Sud comme victime
Pour Ecopop, la femme du Sud est avant tout une victime. Elle est systématiquement présentée comme pauvre, non-éduquée, incapable de choisir par elle-même, par exemple le nombre d'enfants qu'elle souhaite avoir. Cette image est opposée implicitement à celle, idéalisée, de la femme occidentale indépendante, éduquée, maîtresse de son corps et de sa sexualité. L'argument qui découle de cette comparaison est qu'il faut «aider» les femmes-victimes afin qu'elles puissent suivre le modèle de la femme occidentale «libérée». Il s'agit d'une forme de féminisme fortement teintée de racisme qui relaient les femmes du Sud au statut d'objets incapables de faire des choix et qui mène immanquablement à des solutions imposées de l'extérieur. Pour Ecopop, la solution serait que 10% de la coopération au développement soit consacrée au planning familial. Mais les défenseurs d'Ecopop se sont-ils donné la peine de s'intéresser aux revendications des femmes qu'ils prétendent aider ? Se sont-ils préoccupés de savoir si l'accès à la contraception était leur priorité ? J'en doute. Ecopop oublie qu'il y a différents chemins vers la libération, qui se construisent en fonction de réalités diverses, et que c'est une prétention coloniale que de vouloir décider pour les femmes du Sud des modalités de leur émancipation.
Droit à la contraception versus contrôle des naissances
Imaginons un instant que l'accès à la contraception soit effectivement la revendication principale de toutes les femmes vivant dans chacun des pays qui bénéficie de la coopération au développement de la Suisse (hypothèse extrêmement peu probable, mais passons). Dans ce cas, on pourrait trouver légitime de consacrer une part plus importante du budget de la coopération au planning familial «volontaire». Mais c'est justement là que se cache un deuxième élément très problématique chez Ecopop: la confusion entre le droit à la contraception - compris comme un droit individuel de chaque femme de choisir si et quand elle veut procréer - et une politique de contrôle des naissances et de la population. Or, chez Ecopop, l'objectif est clair : le but est avant tout de limiter la croissance de la population. Voilà comment Ecopop instrumentalise une des revendications les plus fondamentale du mouvement féministe pour légitimer une ingérence dans la politique de natalité de pays souverains. Dans ce processus, les femmes perdent leur statut de sujets politiques pour n'être plus que les instruments d'une politique démographique donnée.
Émancipation individuelle ou collective ?
L'émancipation des femmes ne peut être pensée sans une remise en question du système d'exploitation qui engendre leur oppression. Pour le dire autrement: quelle émancipation peuvent attendre les femmes du Sud tant qu'elles continueront à vivre dans la pauvreté et la dépendance vis-à-vis des pays occidentaux ? Ce qui frappe peut-être le plus dans l'argumentation d'Ecopop, c'est l'absence totale de prise en considération des relations de domination imposées par l'impérialisme aux pays du Sud. D'après Ecopop, ce ne sont pas ces relations néo-coloniales qui sont à l'origine de l'exploitation et de la pauvreté, mais simplement «la surpopulation», donc les femmes et leur taux de fécondité. Mais imaginons que l'initiative soit acceptée et que l'accès aux contraceptifs soit facilité. Cela résoudrait-il le problème de la pauvreté ? Peut-être que quelques femmes, individuellement, pourront en bénéficier et s' «élever» dans la société. Mais dans ce cas peut-on parler de projet d'émancipation ? Cela ressemble surtout au vaste projet néo-libéral qui rend l'individu (homme ou femme) responsable de son malheur et le laisse espérer, tout au plus, un changement de sa situation personnelle.
Alors qu'Ecopop prétend briser les tabous et proposer une solution révolutionnaire à tous les problèmes du monde, y compris celui de l'oppression des femmes, nous nous rendons facilement compte que l'initiative ne fait que remettre au goût du jour de vieilles recettes réactionnaires. Malheureusement, dans un contexte où le discours féministe dominant est souvent porteur de racisme, les esprits sont habitués à des telles instrumentalisations et se sentent attirés par ce genre d'arguments. A long terme, on n'entrevoit plus que jamais la nécessité, comme le défend Zahra Ali dans son ouvrage «Féminismes islamiques» de «décoloniser le discours féministe». A court terme, nous pouvons commencer par montrer un signal fort contre le racisme en votant NON à Ecopop le 3 novembre.
> Auteur: Amanda Ioset
> Texte publié dans le journal Gauchebdo