Lausanne, le 13 avril 2016
Monsieur le Président de la Confédération,
Mesdames les Conseillères fédérales,
Messieurs les Conseillers fédéraux,
En 2015, vous avez expulsé 2461 personnes à peine rescapées de l'enfer vers d'autres Etats européens au nom d'un règlement aujourd'hui moribond. Apparemment, cela ne vous a pas empêché de dormir la nuit, ni de rire pour entretenir votre santé. D'ailleurs, plus personne aujourd'hui n'a honte de parler de «fardeau de l'asile» à propos de l'accueil d'êtres humains.
Pas plus tard que le 7 mars 2016, la ministre en charge du dossier s'est encore vantée devant le Parlement de ce qu'aucun Etat européen n'a renvoyé autant de réfugiés que la Suisse l'an dernier. En plein drame des migrants, il fallait oser aussi sordide comptabilité. Mais sans doute étiez-vous un peu déçus de ne pas avoir atteint votre cible: en 2015, la Suisse, terre d'asile et des droits humains, a tenté de se débarrasser de plus de 17'000 personnes en les refoulant dans des pays où elles n'avaient fait que poser le pied. Malheureusement pour vous, certains Etats comme l'Italie n'ont pas votre efficacité administrative. Ils ne gèrent pas aussi bien les flux migratoires - la machine a des fuites, alors que chez vous, elle tourne bien.
Pour notre part, nous estimons que c'est vous, et non les réfugié.e.s, qui êtes le «fardeau de l'asile». Nous avons beau nous creuser la tête, nous ne trouvons aucun intérêt supérieur légitime, ni aucune raison humaine, dans votre politique. Alors même que l'Europe connaît, dit-on, la plus importante vague d'arrivée de réfugié.e.s depuis la Seconde Guerre mondiale, votre priorité affichée consiste à accélérer la cadence des renvois et à geler le droit d'asile. Tandis que des milliers d'êtres humains ont un besoin urgent de protection, de logement digne, de perspectives de formation et de travail, vous les enterrez dans des bunkers, vous les bombardez de décisions de non-entrée en matière lourdes de menaces - Nein, nein, toujours nein, nichteintreten, ces négations qui reviennent à annihiler des êtres humains -, vous les traquez, vous les faites arrêter comme des criminels et organisez leur renvoi menottes au poignets et aux pieds. Comme si vous étiez dans une guerre.
Pourtant, vous n'aviez pas besoin d'un courage héroïque pour tenter de faire face dignement à vos responsabilités. Tout au plus fallait-il prendre la mesure de l'événement, vous préparer à accueillir des êtres humains plutôt que leur opposer des écueils et, oui: ouvrir les frontières. Quitte à prendre le risque d'être impopulaires. Vous chantez régulièrement les louanges du pragmatisme, mais si en l'occurrence un gouvernement a tenté cette voie-là en Europe, c'est le gouvernement de Mme Merkel, chancelière issue d'un parti conservateur et bourgeois. Par peur des aboiements de l'UDC ou par esprit de meute, vous avez préféré au pragmatisme le cynisme, le cynisme de la détention administrative et des expulsions, que même vos sacrosaints Accords de Dublin ne vous obligeaient pas à perpétrer.
Certes, vous avez bien annoncé de timides signes d'ouverture - 3000 Syriens par-ci, contingent de 4500 ou 5000 réfugiés supplémentaires par là -, mais pendant que vous agitiez ces chiffres pour la galerie, vos services faisaient le contraire, et travaillaient à la seule chose concrète de votre politique: vos kilomètres de décisions copiées-collées, votre appareil d'oppression bureaucratique et vos vols banals ou spéciaux. C'est ce cynisme qui a vous a conduit à expulser des réfugiés en Hongrie, où vous ne pouviez ignorer, bien avant que le Tribunal administratif fédéral ne l'écrive, que les violations des droits humains sont monnaie courante et même revendiquées par le chef de l'Etat; c'est la violence de votre politique qui a jeté des centaines de personnes à la rue en Italie, devenues de facto des apatrides, et poussé au suicide, à Genève ou à Lucerne, des demandeurs d'asile dont vous avez nié le besoin de protection.
Depuis plus d'une année, le Collectif R revendique l'appartenance des réfugiées et des réfugiés à la communauté de ce pays et agit conformément à cette idée. Nous affirmons que cette position est beaucoup plus réaliste que votre déni. Elle trouve d'ailleurs un écho de plus en plus important dans la société, en particulier auprès des personnes qui sont confrontées chaque jour aux dégâts de votre politique – professionnel.le.s de la santé, du social, de l'assistance juridique, de la formation, etc. Le droit d'asile existe depuis bien plus longtemps que les lois écrites qui l'ont circonscrit, et qui aujourd'hui l'étouffent, et nous refusons qu'il soit la propriété exclusive et l'otage de votre administration.
Nous ne croyons pas aux miracles mais nous nous contenterons du possible. L'arrêt immédiat des procédures de renvoi basées sur les Accords de Dublin et la réaffectation à une vraie politique d'accueil des moyens aujourd'hui alloués à la répression des réfugié.e.s, constitueraient un petit pas dans ce sens. Nous ne manquerions alors pas de vous adresser, Monsieur le Président de la Confédération, Mesdames les Conseillères fédérales, Messieurs les Conseillers fédéraux, l'expression de notre sincère considération.
Collectif en colèRe