Que dire ensuite du fait qu’une fois la première partie de la sélection effectuée, l’identité de chaque candidat.e est passée au crible, pour vérifier qu’il n’y ait pas d’antécédent de « crime contre l’humanité » ? Etonnant de la part d’un gouvernement qui ne se donne pas cette même peine lorsqu’il s’agit de décider d’accueillir sur son territoire des multinationales impliquées dans le commerce d’armes, parfois au centre même des conflits que fuient ces personnes que le SEM s’engage si généreusement, bien que parcimonieusement à relocaliser en Suisse. Mais pas sans conditions : on leur fait promettre de suivre un « programme d’intégration » ! La décence la plus basique serait de permettre à ces personnes de se remettre de leurs traumatismes, de se reconstruire, de se sentir humain.e.s à nouveau, plutôt que de leur apprendre que pour être suisse, il faut être à l'heure et aimer la fondue.
Si l’opération en elle-même pose problème, sa médiatisation a de quoi interroger encore plus. Les projecteurs sont dirigés sur ces 80 relocalisé.e.s potentiels alors qu’en même temps l’Aquarius est bloqué en mer, avec 629 personnes à bord, que personne, et surtout pas la Suisse, ne veut accueillir. Ces projecteurs visent-ils par exemple aussi à laisser dans l’ombre le renvoi d’une mère et de ses deux enfants, au milieu de la nuit, pendant que leur père, hospitalisé est absent, sans même être mis au courant ?
Cette médiatisation hypocrite a selon nous un effet encore plus pervers : on y perçoit la même rengaine qui plombe les débats sur l'asile en Europe: il y a les vrais réfugié.e.s et les autres. Ainsi, fuir la misère, la guerre et les violences ne suffisent pas, il faut de plus montrer patte blanche et promettre de ne toucher l'aide sociale qu'au début de son parcours, pour ne pas rejoindre les rangs des réfugié.e.s économiques profiteurs. Il faudrait en somme être un.e bon.ne migrant.e, qui travaille dur, fait des randonnées à la montagne et sait utiliser un couteau suisse pour avoir les faveurs et la protection du SEM. Il n'y a en notre sens pas de personnes qui méritent plus d'être aidées que les autres, il n'y a pas de bon ou de mauvais migrant, il n'y a que des êtres humains brisés, maltraités et tués chaque jour par la forteresse Europe. En sauver 80 en continuant de mépriser tous les autres est une insulte à la soi-disant tradition humanitaire de la Suisse, que la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga aime pourtant à évoquer sur tous les fronts médiatiques.
Solidarités Sans Frontières dénonce avec véhémence l’opération médiatique du SEM et l’enjoint plutôt à accorder sa protection à toute personne en fuite, sans distinction de mérite médiatique. Plus de personnes doivent être relocalisées en Suisse, et ce sans bureaucratie ou processus de sélection humiliant et inutile. De plus, si le credo de l’aide sur place lui tient tant à coeur au Conseil fédéral, qu’il bannisse les sources des conflits, plutôt que ses victimes. Pour revendiquer tout cela et bien d’autres choses, nous serons dans la rue le 16 juin à 14h à Berne, pour notre manifestation « Entre nous pas de frontières ».