COMMUNIQUÉ DE PRESSE - 30 NOVEMBRE 2016
2E CONFÉRENCE EUROPÉENNE SUR LE RACISME ANTI-NOIR EN EUROPE, BOYCOTTÉE
La Suisse officielle rejette encore plus à la marge ses Noirs, « minorité sans importance »
Concertation ? Aucune autorité suisse invitée n’a jugé utile de se déplacer ni de se faire représenter à la 2e Conférence européenne sur le racisme anti-Noir en Europe (CERAN II), organisée par le CRAN les 25 et 26 novembre derniers. Seul était présent le seul maire Noir de Suisse, M. Laurent Jimaja, d’origine béninoise, qui se trouve être par hasard le maire de la ville (Grand-Saconnex) où s’est tenue la rencontre. Ce dernier y a représenté la Suisse officielle aux côtés d’une autre allogène, la directrice de l’Université populaire albanaise, Mme Albana Krasniqi Malaj, membre de la Commission fédérale sur la Migration et représentant le président excusé de cette Commission. Egalement absente, la presse. Cela aurait-il été pareil si la conférence avait porté sur l’antisémitisme, l’islamophobie ou le racisme anti-Rom ?
Ils se sont certes excusés. Mais ni le ministre fédéral en charge des questions liées au racisme, M. Alain Berset, ni la présidente de la Commission fédérale contre le racisme, la genevoise Martine Brunschwig-Graf, ni le président du gouvernement genevois M. François Longchamp, ni la Cheffe du département en charge des questions de diversité en Ville de Genève, Mme Sandrine Salerno, n’ont trouvé de collaborateur pour les représenter, invités un mois et demi avant CERAN II. Il est vrai que la même Ville de Genève a été seule, avec Grand-Saconnex, à apporter un soutien public là où la Confédération a rejeté la demande pour non compatibilité des porteurs du projet avec l’identité nationale suisse. Dix ans auparavant, à l’occasion de CERAN I, la Confédération avait opposé la même réponse négative. Mais elle reviendra sur son refus, après qu’une enquête du CRAN ait démontré que ses services finançaient largement la même année 2006 une autre « Conférence européenne sur le racisme » organisée durant cinq jours à Neuchâtel par United, organisation basée à Amsterdam. Bien que non-suisse, United avait-elle droit aux fonds publics parce que non-Noire ?
Le symbole est fort, le message clair
A la lumière des derniers drames du profilage policier survenus en Suisse et perçus par les Noirs comme relevant du racisme anti-Noir, le symbole est fort et le message clair : Les Noirs de Suisse sont une minorité sans importance, aux prises avec un racisme sans importance ! Pourtant CERAN I, en 2006, n’avait pas connu cette défiance généralisée, mis à part l’octroi discriminatoire des fonds publics par la Confédération : le président du gouvernement genevois, M. Laurent Moutinot, le président de la Commission fédérale des Etrangers, M. Francis Matthey, la vice-présidente de la Commission fédérale contre le racisme, Mme Boël Sambuc, ou le président du conseil communal de Grand-Saconnex, M. Melchor Eya Nchama, ont fait partie de nombreuses personnalités présentes, suisses et internationales, dont le footballeur français Lilian Thuram, arrivé en jet privé de Turin, où il officiait alors, juste pour participer à CERAN I.
Certes, invités et annoncés à CERAN II, Lilian Thuran (retraité du football et président de sa Fondation pour l’éducation contre le racisme) et Christiane Taubira (ancienne ministre de la Justice en France) se sont excusés. Mais d’autres personnalités Noires ont bien été présentes, outre le maire de Grand-Saconnex : Mme Cécile K. Kyenge (députée européenne et ancienne ministre de l’Intégration en Italie), Mme Mireille Fanon Mendès-France (membre du Groupe d’experts de l’ONU sur les Afro-Descendants, présidente de la Fondation Frantz Fanon et fille de l’illustre penseur antillais), M. Doudou Diène (expert international et ancien Rapporteur spécial de l’ONU sur le racisme), M. Mamadou Ngom (star de la lutte sénégalaise, de passage à Genève), le représentant de l’ambassadeur du Tchad, doyen du Corps diplomatique africain, etc.
Malgré des moyens extrêmement limités et faits surtout d’apports privés, CERAN II a réussi à se tenir sur les deux jours prévus. Le nombre de pays présents aurait pu doubler si des problèmes de visas refusés à des délégations venant de pays est-européens (Slovénie, Ukraine) n’étaient venus le réduire. Outre un rapport général sur l’ensemble de l’Union Européenne, des rapports nationaux ont été présentés sur le racisme anti-Noir en Belgique, en Espagne, en France, en Irlande, en Italie, au Portugal, au Royaume-Uni, en Suède ainsi qu’en Suisse. Ces états de lieu ont révélé à la fois des enjeux et défis convergents mais aussi des spécificités permettant de donner à la lutte menée dans chaque pays une signification particulière.
Invitée à faire part de son expérience du racisme vécu au sommet de l’Etat italien, Mme Kyenge a fort ému et impressionné par sa lucidité et son courage inflexibles face aux menaces de mort qui continuent, malgré des responsabilités recentrées sur le Parlement européen. De plus, ses missions d’observation d’élections, en particulier en Afrique, ont tendance à déplaire à bien de dirigeants africains. Autre moment fort, le brillant exposé de M. Doudou Diene. Rappelant les fondamentaux posés par la Conférence de Durban (2001) et qui constituent des repères à ne pas perdre de vue, il a insisté sur la nécessité de briser le silence et d’inscrire le combat antiraciste dans l’historicité, la déconstruction et l’universalité. Citant souvent son père, Mireille Fanon a mis l’accent sur une universalité de droits, dénonçant la hiérarchisation des racismes et plaidant pour des réparations « afin de ne pas se réconcilier dans le mensonge ». Les membres du MIR (Mouvement international pour les Réparations) ont à cet égard alerté sur les offensives d’historiens révisionnistes qui se multiplient en France et qu’ils n’hésitent pas à traîner en justice malgré l’impunité assurée. Quant aux débats consacrés à la migration et au suivi de Durban, ils ont été fort nourris et de haute facture aussi. On retiendra de CERAN II et de ses intervenants des éclairages pointus et une expertise unanimement salués.
Vers des actions communes à grande portée synergique et durables
Parmi les nombreuses recommandations qui ont été formulées et que le Rapport de synthèse à venir va présenter, au moins quatre méritent d’être citées, notamment pour leur grande portée synergique :
- Faire du Plan d’action adopté à l’unanimité à Durban par les Etats ayant participé à cette conférence mondiale historique sur le racisme un outil de travail et de monitoring des actions devant être menées dans chaque pays, afin de vérifier leur mise en œuvre réelle par les Etats ;
- Créer, dans le cadre de la Décennie de l’ONU pour les Afro-Descendants (2015-2024) et sous l’égide de l’UNESCO, des Routes de la Mémoire Noire, à l’exemple de la Route de l’Esclave, en identifiant et en documentant avec des chercheurs, dans chaque pays, des lieux de Mémoire marqués d’une empreinte africaine ; ce projet déjà initié en Suisse par le CRAN avec l’Université populaire africaine devrait déboucher sur un tracé européen de Routes de la Mémoire Noire, par une publication et d’autres initiatives destinées à marquer la Décennie d’une empreinte profonde, commune ;
- Créer, à l’initiative du CRAN, une Plateforme ou un Réseau européen de lutte contre le racisme anti-Noir et pour la valorisation de la Mémoire Noire, en mettant en place un système de coordination et de partage d’informations et de données, outil commun au service notamment du projet précédent ;
- Créer un site de monitoring du profilage policier appliquant dans la récolte de données un standard commun et plus adapté aux situations impliquant des personnes d’ascendance africaine.
Le CRAN s’est engagé à assurer le suivi de CERAN II et des propositions. La faisabilité de CERAN III dans les meilleurs délais sera également étudiée.
Fait à Berne, le 30 novembre 2016.
Pour le Conseil de gestion du CRAN,
Les Porte-paroles :
André Loembe, Vice-Président (079 345 08 52)
Mutombo Kanyana, Secrétaire général (079 754 54 85)
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